Vente à distance - Le droit de rétractation

Rubrique reportages

Il y a déjà 3 ans, je parlais ici-même du droit relatif à la protection du consommateur dans la vente à distance.

3 ans plus tard, force est de constater que les droits des consommateurs sont rarement respectés et en particulier le fameux droit de rétractation qui est plus que malmené dans de nombreuses « conditions générales de vente ». Le phénomène n'est pas spécifique aux jeux de société, bien sûr. Il m'a semblé utile de faire un point et de rappeler le droit en vigueur, et en particulier le droit pour le consommateur d'essayer le jeu qu'il a acheté avant d'éventuellement exercer son droit à rétractation.

Qu'est-ce que le droit de rétractation ?

Ce droit est défini par l'article L 121-20 du code de la consommation.

En résumé, l'acheteur d'un bien à une boutique de vente à distance dispose de 7 jours à réception de son colis pour changer d'avis et renvoyer sa commande, sans avoir à justifier sa décision. Le vendeur est alors tenu de lui rembourser son achat.

Qui paye quoi en cas de rétractation ?

En cas de rétractation, l'acheteur prend à sa charge les frais de retour de sa commande. Il doit bien sûr s'assurer que ce retour s'effectue bien et donc prendre toutes les précautions nécessaires : colis bien solide, éventuellement retour en recommandé. Le vendeur doit alors lui rembourser son achat, c'est à dire le montant payé par l'acheteur : prix des objets ET frais d'envoi.

Existe-il des restrictions possibles à ce droit ?

Oui, mais elles sont limitatives et strictement définies par la loi à l'article L 121-20-2 du code de la consommation.

Le droit de rétractation ne peut être exercé, sauf si les parties en sont convenues autrement, pour les contrats :

  1. De fourniture de services dont l'exécution a commencé, avec l'accord du consommateur, avant la fin du délai de sept jours francs ;
  2. De fourniture de biens ou de services dont le prix est fonction de fluctuations des taux du marché financier ;
  3. De fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés ou qui, du fait de leur nature, ne peuvent être réexpédiés ou sont susceptibles de se détériorer ou de se périmer rapidement ;
  4. De fourniture d'enregistrements audio ou vidéo ou de logiciels informatiques lorsqu'ils ont été descellés par le consommateur ;
  5. De fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines ;
  6. De service de paris ou de loteries autorisés.

Toute autre restriction est illégale.

Venons-en aux faits !

Est-on en droit d'essayer un jeu acheté par corres­pondance ?

Oui ! Un magasin de vente en ligne n'a pas le droit d'interdire l'utilisation de l'objet acheté puisque l'idée même de la loi est que le client puisse essayer l'objet qu'il achète. En clair, lorsque vous achetez un jeu de société par la vente à distance, vous avez le droit de le déballer proprement pour l'essayer. Je vous conseille cependant de ne pas détériorer le jeu, par exemple en écrivant sur des feuilles de score ou en renversant votre gloubiboulga sur le magnifique plan de jeu : le vendeur serait alors en droit de vous refuser le retour car le jeu aurait été abimé (la différence entre utilisé et abimé est subtile mais je suis sûr que vous la comprenez).

« Oui, mais … s'il me faut détacher des pions ou des tuiles pour essayer le jeu ? » allez-vous me dire. La réponse est logique : vous avez le droit d'essayer le jeu. Si pour cela vous devez utiliser les magnifiques petits soldats en plastique livrés en grappe, vous avez tout à fait le droit de les détacher avec précautions. Attention à ne pas couper le bras d'un brave soldat : le vendeur pourrait prendre prétexte de cette « détérioration » pour refuser le retour.

Existe-t-il une jurisprudence à ce sujet ?

Oui ! La plus connue est celle rendue par le Tribunal de Grande Instance de Paris, en date du 4 février 2003. Il y est écrit clairement (je vous laisse lire l'arrêt dans son entier) « Que le droit de rétractation est absolu et discrétionnaire et permet au consommateur d’essayer l’objet commandé et d’en faire usage ; »:

Une autre décision de justice vient confirmer l'interdiction de limiter le droit de rétractation :

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de Bordeaux, 1re chambre civile, 11 mars 2008
extrait : « Le Tribunal, (...) Dit que sont illicites ou abusives les clauses suivantes figurant aux conditions générales de vente de la Société CDISCOUNT : (...)
- celle de l’article 9.1 qui prévoit que le droit de retour est conditionné par une autorisation du service client, (...)
- celle de l’article 9.3 § 2 qui restreint le droit de rétractation et de retour si l’emballage d’origine est endommagé, (...) »

Puis-je aussi essayer un jeu acheté dans une boutique en ville ?

Non (sauf avec l'accord express du vendeur). Le droit de rétractation s'applique au commerce à distance pas au commerce "en dur". Les boutiques à distance supportent donc une contrainte supplémentaire. En contrepartie, elles ont beaucoup moins de frais que les boutiques de rue car elles n'ont pas à présenter les objets au public, donc à payer les spots, les vitrines, les vendeurs à plein-temps, la démarque inconnue, etc.

Des exemples de clauses abusives ?

Les exemples sont nombreux. je vous livre ci-dessous quelques exemples trouvés dans les CGV de magasins de jeux en ligne. Chacun se reconnaîtra (et puis sinon, une petite recherche via Google doit permettre d'identifier les sites où ces conditions de vente ont été puisées) :

  • « Le retour ne sera accepté que si le produit n'a pas été déconditionné / utilisé. »
     
  • « Seuls les produits retournés complets, en bon état et dans leur emballage d'origine tels que Nous Vous les aurons livrés ( Blisters, Boites, matériels cellophanés, sauf si défectueux), seront repris ou échangés. »
    Cette clause est légale pour ce qui concerne les revues, livres et logiciels mais illégale pour les boîtes de jeux que vous avez le droit d'ouvrir, ce qui se fait généralement en enlevant le cellophane.
     
  • « Seuls les produits retournés complets, en bon état et dans leur emballage d'origine tels que Nous Vous les aurons livrés (Livres, Blisters, Boites, Matériels cellophanés, sauf si défectueux), seront repris ou échangés »
    Même remarque qu'au-dessus : la loi autorise des restrictions pour les livres et revues mais pas pour les boîtes de jeux.
     
  • « Dans tous les cas d’échange et de remboursement, vous devez renvoyer l'article neuf dans son emballage d’origine, en parfait état, accompagné de tous les accessoires éventuels ainsi qu'une description détaillée écrite du motif du retour à l’adresse suivante … »
    L'insistance sur le terme "neuf" laisse entendre que le jeu ne peut pas avoir été déballé, ce qui constitue une clause abusive. L'exigence d'une "description détaillée écrite du motif du retour" est évidemment abusive.
     
  • « Le droit d’échange ou de remboursement ne s’applique que dans la mesure où le Produit est renvoyé en parfait état de revente, emballé dans son emballage d'origine, complet et ne présentant aucune trace de choc, de dysfonctionnement ou d’utilisation. »
    L'acheteur est tout à fait en droit de déballer des éléments du jeu pour l'essayer et donc de faire des "traces d'utilisation". Si le produit n'est pas abimé, le vendeur ne peut pas restreindre le droit de rétractation de l'acheteur. Il a par contre le droit de refuser un jeu avec des traces d'écriture sur des éléments du jeu, des éléments abimés ou cassés. Par exemple, détacher les pions du support sur lequel ils sont livrés est autorisé mais le vendeur peut refuser le retour si les pions ont été détachés sans précaution en arrachant du papier.
     
  • « Le renvoi ne sera accepté que pour un objet rendu dans le même état que lors de la livraison (produit non déballé et non utilisé).
    Les frais de port ne sont pas remboursés.
     »
    Non seulement ce vpciste refuse de reprendre un jeu déballé mais en plus il refuse de rembourser les frais de port. Tout cela est bien sûr illégal.

En conclusion

Si votre boutique de vente en ligne prétend limiter votre droit de rétractation par ses conditions générales de vente, contactez-la et expliquez-lui qu'elle n'en a pas le droit. Généralement il s'agit plus d'une ignorance de la loi que d'une volonté de ne pas s'y conformer. Si le vendeur refuse d'entendre raison, adressez-vous à un autre vendeur. Ce n'est pas ce qui manque : il y aura bientôt plus de boutiques de jeux en ligne que de joueurs ! Et bien sûr, comme le suggère ci-dessous Annie, n'oubliez pas que la boutique de votre ville est certainement le meilleur endroit pour voir et parfois essayer les jeux.

L'enquête complète

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François Haffner
31 mars 2009